60 ans après le traité de l’Élysée, l’apprentissage de l’allemand en déclin en France

À l’occasion du Conseil des ministres franco-allemand du 22 janvier, le ministre de l’Éducation nationale a annoncé la mise en œuvre de nouvelles stratégies visant à augmenter le nombre d’élèves apprenant l’allemand. Cette annonce permettra-t-elle de résoudre le problème que soulève la désaffection de cette langue chez les enseignants et les élèves ?

Les chiffres de l’Éducation nationale sont accablants. En 2021, 147 000 élèves ont choisi l’allemand comme première langue, alors qu’ils étaient plus de 600 000 en 1995. Une chute de 75% que déplorait Catherine Colonna, ministre des Affaires étrangères, accompagnée de son homologue allemande, lors d’une visite d’un lycée parisien en novembre dernier. « Il y a un vrai recul, et nous en sommes responsables », a-t-elle déclaré.

Pour Thérèse Clerc, présidente de l’Association pour le développement de l’enseignement de l’allemand en France (ADEAF), plusieurs raisons expliquent ce triste constat. « Dans un premier temps, face à l’imposition de l’anglais comme langue internationale, les familles ont voulu garantir l’apprentissage de l’anglais LV1 pour leurs enfants, explique-t-elle. Ce qui a entraîné une grande concurrence entre les deux langues. Pour pallier cela, le gouvernement a mis en place des classes bilangues (apprentissage de deux langues étrangères dès la 6e, NDLR). Mais la réforme du collège de 2016 n’a autorisé leur maintien que lorsque les élèves avaient appris une autre langue que l’anglais en primaire. » 

Dès lors, il a fallu aux établissements des moyens financiers pour maintenir la matière qui, de plus, a été supplantée par l’espagnol. Une situation regrettable qui fragilise les conditions de travail des professeurs. Ces derniers doivent œuvrer sur plusieurs établissements et différents niveaux. Un casse-tête logistique qui nuit à l’attractivité du métier. Résultat : les professeurs d’allemand manquent. En 2022, 72% des postes du CAPES ont été non pourvus en 2022.

L’allemand négligé

Ces dernières décisions ont fait de l’allemand une matière sous tension, déplore Patrick Wallbom, secrétaire général académique du SE UNSA Nancy-Metz : « Le manque de moyens financiers ne permet plus de recruter des professeurs aujourd’hui, et cela n’est pas sans conséquence sur le recrutement de nouveaux étudiants », analyse-t-il. D’autant plus que l’enseignement de l’allemand est en perte de vitesse dans les écoles primaires, y compris en Lorraine, région pourtant frontalière de l’Allemagne et du Luxembourg, souligne-t-il. « On a besoin d’élèves et de collègues motivés qui travaillent dans de bonnes conditions pour rendre la matière plus dynamique, mais c’est de plus en plus dur avec les postes supprimés et les moyens réduits. » 

Alors que la France et l’Allemagne viennent de fêter les soixante-ans du traité de l’Élysée, la place accordée à l’allemand dans l’enseignement français est en déclin, constate Sylvie Klaar-Lusamba, professeure d’allemand au lycée Louis de Cormontaigne à Metz. 

« L’allemand n’est pas une langue négligeable, notamment en Lorraine pour les frontaliers du fait de notre proximité avec le Luxembourg et l’Allemagne. Mais les moyens ne sont pas suffisamment donnés : les dernières réformes ont été un coup assez fatal porté à l’allemand et à d’autres langues que l’anglais. » Patrick Wallbom, lui, pointe du doigt un décalage profond entre l’importance accordée au franco-allemand dans les discours et les faits réels sur le terrain : « La France ne prend pas au sérieux l’enseignement de l’allemand, alors qu’elle s’est engagée à lui donner de l’importance. Les collègues font ce qu’ils peuvent mais pas l’Etat. »

Une réputation de langue « d’élite »

Outre le manque de moyens crucial, l’allemand a longtemps souffert d’une image d’élitisme, malgré les efforts pour moderniser et rendre plus ludique son enseignement. Pour Thérèse Clerc, cette idée d’une langue réservée à une certaine élite intellectuelle est fausse. « Dans l’enseignement, le choix d’apprendre l’allemand est offert à tout le monde. Ça n’a jamais été une volonté gouvernementale d’en faire une langue d’élite, mais certains parents lui ont collé cette étiquette pour des raisons purement arbitraires. » Dans les régions frontalières, par exemple, l’idée d’apprendre la langue du pays voisin afin de favoriser le développement des échanges (économiques notamment) est très présente.

En novembre 2022, le ministre de l’Éducation nationale, Pap N’Diaye, à l’occasion d’un déplacement outre-Rhin, signait un texte visant à augmenter le nombre d’élèves apprenant l’allemand en France. Il y rappelait les engagements convenus entre les gouvernements lors de la signature du Traité d’Aix-la-Chapelle le 22 janvier 2019. « Au niveau des discours on a ce qu’il faut, mais concernant les actes, on attend encore », conclut Thérèse Clerc.

Dorian Grelier et Elie Guidi

(Crédit photo : Odd Andersen/AFP)

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